L’égalité entre les sexes ne sera pas atteinte avec des demi-mesures.
par Daniel Morchain, conseiller global – Adaptation aux changements climatiques à Oxfam, et cochercheur principal du projet Adaptation à différentes échelles dans les régions semi-arides (ASSAR)
La recherche pour aider à éliminer les stéréotypes
Les changements climatiques jouent un rôle important pour façonner les moyens qui permettent ou non aux femmes de contribuer à leur propre bien-être et à celui de leurs proches. Jusqu’à présent, la documentation sur les changements climatiques a rendu un bien mauvais service aux programmes féministes en présentant les femmes comme étant des bénéficiaires passifs et vulnérables, et en sous-estimant l’importance de la dynamique sexospécifique dans l’atteinte des objectifs en matière d’adaptation. Ainsi, la recherche sur les changements climatiques a fait la promotion d’un discours en matière de développement qui est paralysant pour les femmes, et n’a pas réussi à remettre en question les injustices structurelles qui font souvent en sorte que les femmes demeurent des observatrices extérieures frustrées.
La recherche pourrait contribuer à une compréhension plus nuancée et réaliste de la façon dont l’égalité des sexes rendrait les efforts d’adaptation aux changements climatiques plus efficaces. Par exemple, dans le cadre du projet ASSAR, notre travail en matière de sexospécificité s’est concentré sur la remise en question de ces hypothèses et de ces idées fausses. Pour illustrer ce fait, certaines de nos conclusions suggèrent que, au-delà des arguments concernant les droits humains et l’égalité des sexes, afin de rendre nos efforts plus efficaces, les stratégies d’adaptation doivent aborder et remettre en question la discrimination systématique contre les femmes qui est enracinée dans le patriarcat; et elles doivent reconnaître les aspirations des gens et les intégrer dans les plans de développement. L’une des façons de promouvoir la renégociation des relations de pouvoir est d’accroître la participation des femmes dans la prise de décisions. À l’échelle des ménages, les recherches de l’ASSAR ont révélé que le fait de mettre l’accent sur le renforcement de la coopération entre les membres du ménage, plutôt que de canaliser les efforts sur le chef du ménage, a tendance à produire de meilleurs résultats en matière d’adaptation.
De la recherche sur les sexospécificités et les changements climatiques jusqu’à la scène mondiale
L’un des points que j’ai retenus après avoir participé à la 62e séance de la Commission de la condition de la femme (CSW62) d’ONU Femmes, à New York, était la tension frappante entre les voix suggérant, d’une part, de « travailler dans les limites du système », et celles disant que « nous devons véritablement bousculer les choses ». Dans le cadre de cette bataille, l’une des parties semblait mettre l’accent sur l’apport de modifications progressives aux structures, alors que l’autre partie militait en faveur du renouvellement des mentalités; l’une faisait la promotion d’idées sécuritaires et superficielles, tandis que l’autre voulait désespérément redessiner les cartes du pouvoir.
Rebeca Grynspan du Costa Rica, une représentante de haut niveau de l’ONU, a indiqué lors de la CSW62 qu’il existe toujours un risque élevé que les progrès concernant les droits des femmes soient compromis. Malgré l’élan créé, notamment par les mouvements #MoiAussi et Time’s Up, si les militants des droits des femmes ne sont pas prudents, les forces politiques au pouvoir et les systèmes patriarcaux encore prédominants continueront leur lutte en vue de supprimer le changement et de réduire à néant les progrès acquis.
Il me semblait que la scène mondiale reflétait bien les luttes de pouvoirs et les hypothèses auxquelles nous avons été confrontés dans nos recherches menées dans le cadre du projet ASSAR, à l’échelle locale en Afrique et en Inde.
Les objectifs de développement durable (ODD) illustrent cet état de choses. On peut soutenir que les ODD tentent de travailler dans le contexte des structures actuelles afin de réaliser des percées en matière d’égalité entre les sexes, entre autres enjeux en matière de développement. En partie grâce au fait que la société civile a contribué à la conception des ODD, ces derniers reflètent les principes féministes. Cependant, comme Esquivel et Sweetman[1] le mentionnent à juste titre, la pertinence de ce cadre ne sera pas déterminée par la façon dont les objectifs seront formulés, mais par la façon dont ils seront mis en oeuvre.
Afin de combler véritablement le fossé entre les positions officielles et celles des militants, les droits des femmes doivent être au coeur de tous les travaux de développement. Ce n’est pas le cas de nos jours, du moins pas lorsqu’il s’agit de faire face aux répercussions des changements climatiques. En fait, le pourcentage de l’aide publique au développement qui est affecté aux changements climatiques et dont l’objectif principal est l’égalité des sexes demeure malheureusement faible (il s’élevait uniquement à 3 % en 2014)[2]. Si les efforts en matière d’égalité entre les sexes se concentrent uniquement sur l’ODD 5 (égalité entre les sexes) et qu’ils ne constituent pas une priorité lorsqu’on aborde les autres ODD, tels que l’ODD 10 (réduction des inégalités) ou l’ODD 13 (lutte contre les changements climatiques), les ODD serviront principalement à encourager le statu quo.
En définitive, ce qui importe dans la réalisation de profonds changements, c’est que les personnes et les institutions modifient leur façon de travailler et de voir le monde. Comme l’a mentionné un conférencier lors de la CSW62 : « Nous devons réfléchir à une stratégie nationale du point de vue de l’égalité des sexes, plutôt que d’inclure cette dernière en tant qu’élément supplémentaire de la stratégie ». Ce qui est réellement important, c’est de changer les mentalités et d’abandonner les positions de pouvoir et d’avantage qui sont adoptées depuis longtemps.
Alors, quelle est ma façon de penser ?
Les résultats de recherche de l’ASSAR qui portent sur l’égalité des sexes et la CSW62 m’ont convaincu que les programmes de droits des femmes ne devraient pas porter uniquement sur les objectifs instrumentalistes; ils doivent viser à procéder à des transformations. Le fait d’ignorer ou d’éviter certaines questions, telles que les normes sociales, le pouvoir, l’identité, les valeurs et les aspirations, fera en sorte que les personnes qui ont le plus besoin de voir des progrès en matière d’égalité des sexes percevront les changements comme étant étrangers et lointains.
Comment le soulignent correctement Djoudi et coll.[3], la compréhension de la problématique sous cet angle de l’intersectionnalité est nettement peu abordée dans le domaine de la recherche sur les changements climatiques. Voilà précisément pourquoi je suis content de participer à une initiative comme l’Initiative de recherche concertée sur l’adaptation en Afrique et en Asie (IRCAAA), qui favorise une approche multidisciplinaire et accorde particulièrement de l’importance à l’incidence de la recherche, ce qui entraîne une plus grande contribution des universités à la réalisation de progrès réels en matière des droits des femmes.
[1] Esquivel, V. et C. Sweetman (2016). Gender and the Sustainable Development Goals, Gender and Development, vol. 24, no 1, p. 1-8
[2] Réseau du CAD de l’OCDE sur l’égalité homme-femme (2015), Making climate finance work for women: Overview of bilateral ODA to gender and climate change. Cité par la FAO dans Tackling Climate Change Through the Empowerment of Rural Women.
[3] Beyond dichotomies: Gender and intersecting inequalities in climate change studies
Houria Djoudi, Bruno Locatelli, Chloe Vaast, Kiran Asher, Maria Brockhaus et Bimbika Basnett Sijapati
Ambio, Déc. 2016, vol. 45(Suppl. 3), p. 248–262.